Un excellent point à date de l'EUCC France (Réseau européen des littoraux).
Retour sur l’atelier de terrain organisé par EUCC-France à Wissant en septembre 2006
Par Yvonne Battiau-Queney (avril 2021)
- Le thème de l’atelier de 2006 était la stratégie à adopter face aux dégâts constatés et prévisibles de l’érosion marine en baie de Wissant.
Wissant était réputée dans les années 1970-1980 comme étant la plus belle plage de la côte d’Opale, avec son admirable panorama sur le Blanc Nez à l’est et le Gris Nez à l’ouest, sa vue exceptionnelle sur les falaises anglaises et son sable doré affleurant sur plusieurs centaines de mètres de large à marée basse.
Le site apparaissait malheureusement menacé par l’érosion marine depuis les années 1990. C’était tout à fait nouveau, car jusque-là la menace venait du sable et non de la mer. Le sable soufflé par les vents d’ouest avait la fâcheuse tendance à tout envahir et même à ensevelir un lotissement récemment construit en arrière de la dune d’Aval. Il fallait constamment désensabler et dégager le front de mer, les chaussées, le mobilier urbain et l’entrée des maisons et immeubles. Tout a changé vers 1985. L’atelier de 2006 avait permis de constater les effets de ce retournement de situation, avec un abaissement spectaculaire du niveau de la plage et la destruction de la vieille digue de 1905 qui avait tenu presqu’un siècle, avant de céder aux coups de butoir des vagues en 1998-1999. Lors de l’atelier, la digue venait d’être reconstruite en 2002, mais présentait déjà quelques signes de faiblesse, avec un déchaussement des palplanches et des escaliers d’accès à la plage suspendus au-dessus du sable … Au droit de la dune d’Aval (sud-ouest du village), les restes du Mur de l’Atlantique témoignaient du rapide recul du trait de côte. A l’inverse, au nord-est du village, la dune d’Amont montrait en 2006 des signes d’accrétion et d’avancée du trait de côte.
Trois solutions envisageables avaient été débattues lors de l’atelier : 1) La défense « dure » : on renforçait la digue et les enrochements protégeant la « dune d’aval ». Mais il avait été rappelé que cela ne ferait qu’aggraver la situation en accentuant la déperdition de sable au pied de la digue et en déplaçant l’érosion vers le sud-ouest. 2) Le laisser-faire : on renonçait à protéger les dunes attaquées en falaise et à restaurer les dégâts touchant la digue et éventuellement les habitations. Les participants s’accordaient à dire que la population n’était pas préparée à cette éventualité. 3) La défense « souple » : on prévoyait un rechargement massif de sable devant la digue et la « dune d’aval », le sable étant prélevé à l’entrée du port de Calais. Un rapport de la SOGREAH réalisé dans cette perspective n’était pas encore disponible lors de l’atelier.
L’atelier de 2006 avait aussi permis de présenter les recherches menées par le CETMEF (devenu CEREMA) et l’Université du Littoral-ULCO. Il en ressortait que la baie de Wissant était un système sédimentaire ouvert qui apparut déficitaire entre 1977 et 2002. Néanmoins, le volume de sable exporté et les mécanismes de sortie de la baie étaient mal connus. De nouvelles recherches ont été conduites depuis, principalement sous l’égide de l’ULCO/CNRS, avec l’aide de bureaux d’études. Elles ont considérablement amélioré nos connaissances sur les transferts sédimentaires dans la baie et entre la baie et les fonds proches.
- L’intérêt et la faisabilité d’un réensablement massif de la baie
Dès 2008, j’avais montré que le déficit sédimentaire et ses effets sur le recul de la dune d’Aval et l’abaissement de la plage étaient dus principalement aux interventions humaines. Des prélèvements massifs de sable avaient été faits sur la plage et dans la dune, entre 1944 et 1985. Ils accompagnèrent la reconstruction d’après-guerre, puis le développement touristique de Wissant. A cela s’ajoutèrent des extractions de sables et granulats opérés de 1973 à 1981 sur le banc ou en bordure du banc à la Ligne, pour répondre aux besoins de l’extension du port de Dunkerque ouest. La SOGREAH évaluait, dans son rapport de 2006, ces extractions à plus de 1 200 000 m3, ce qui m’a été confirmé oralement par le responsable de la DDTM en 2018. Au total, on peut estimer qu’entre 1,5 et 2 millions de m3 de sable sont sortis du système côtier de la baie de Wissant entre 1944 et 1985, du fait de toutes ces interventions. Dans diverses réunions publiques (en 2008, 2011, 2012, 2014 et encore en 2018), j’ai constamment plaidé pour un rechargement massif de la plage de Wissant, seule façon durable de compenser les sorties de sable opérées par l’homme en 40 ans, et de rétablir l’équilibre du budget sédimentaire de la baie.
Cette solution était déjà soutenue par la SOGREAH dans son rapport de 2006 où il était préconisé une injection de 300 000 m3 au centre de la baie, sur un linéaire de 2500 m en créant une berme de haut de plage à la cote + 4,70m (IGN 69). Ce rapport évaluait le coût du rechargement initial à 5,45 millions €. Un apport annuel de l’ordre de 15 000 m3 était à prévoir ensuite.
Mais la destruction, dès 2002, de la digue à peine refaite et pas encore complètement payée, a ranimé le débat sur l’urgence des travaux à faire. En 2008, le maire s’était fait réélire avec l’engagement de reconstruire la digue.
Parallèlement, un fait nouveau était apparu, avec le projet d’extension du port de Calais (désigné « Calais 2015 »). Dès 2011, en tant que membre expert du CSRPN, j’avais alerté la direction des Ports du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais sur l’opportunité d’utiliser le sable extrait des nouvelles darses de Calais pour recharger la baie de Wissant. Le compte-rendu de la réunion du CSRPN en date du 4 mai 2011 cite ainsi M. JB Duparc, représentant le Conseil Régional : « M. Duparc indique que la mise à disposition de matériaux pour la recharge de la baie de Wissant est une option inscrite dans le programme du maître d’œuvre. L’accord du maire de Wissant reste cependant une condition ».
Cette option a été confirmée par la Région NPC dans son rapport d’enquête publique pour Calais 2015, publié en juin 2011 :
5.1.1.1 (p. 32) : en phase chantier… le clapage des excédents de déblais n’aura pas d’impact sur la courantologie du site mais potentiellement sur sa bathymétrie. Le clapage des 800 000 m3 de sables pourrait entraîner, au maximum, une élévation de 80 cm sur l’ensemble de la zone. Par ailleurs, il est important de souligner que ces sables seront tenus à disposition du futur maître d’ouvrage du projet de rechargement de plage (Wissant) et que l’impact pourrait s’en trouver réduit.
§ 5.1.1.3 (p. 33) : Bien que l’atteinte d’un équilibre entre le volume de déblais et le volume de remblais soit l’un des objectifs du maître d’ouvrage, la progression naturelle des ridens de la Rade vers la côte va générer un excédent de sable d’environ 800.000 m3…. La Région entend mettre à disposition ces sables en vue d’opérations de rechargement de plage (par exemple à Wissant).
En juin 2012, dans un dîner débat organisé à Wissant, en présence du maire, j’avais préconisé une recharge massive de sable comme unique solution « durable » capable de rééquilibrer le système hydrosédimentaire de la baie. Il fallait retrouver les conditions hydrodynamiques antérieures aux prélèvements opérés par l’homme depuis la guerre, permettant non seulement d’atténuer l’énergie des vagues mais aussi de réalimenter naturellement la dune d’Aval par le rétablissement de la dynamique éolienne sur la plage. Pour moi, le rechargement massif était la condition sine qua non pour que Wissant retrouve sa plage et que la dune d’Aval soit sauvée. J’insistais sur l’exceptionnelle opportunité offerte par le chantier de Calais 2015 pour «récupérer» le sable des futurs bassins. Toutes les études sédimentologiques antérieures menées sur les bancs littoraux du secteur suggéraient la bonne compatibilité de ce sable pour une telle opération. Après le rechargement, je soulignais qu’il fallait éviter l’ensablement du front de mer en disposant, en haut de plage, des ouvrages légers (démontables en saison touristique) piégeant le sable soufflé par le vent sur la plage. Je disais aussi qu’il faudrait contrôler les « fuites » de sable hors de la baie par le chenal qui s’était formé entre le Cap Gris Nez et le banc à la Ligne, dans les années 1970.
Parallèlement le maire avait chargé Artelia de monter un dossier de reconstruction du perré et de la digue, qui fut soumis à autorisation en 2013. J’ai, à cette occasion, rédigé pour le CSRPN du Nord-Pas-de-Calais une analyse critique du dossier montrant que cet ouvrage (évalué à 7 millions d’euros), ne pouvait pas être efficace, s’il n’était accompagné d’un rechargement massif de la plage. Ce rapport a été transmis à la DREAL et au Préfet, en juin 2014.
- Les tribulations des rapports d’expertise ou comment multiplier par 5 le coût d’une opération de rechargement
En septembre 2014, le bureau d’études EGIS a remis au Syndicat Mixte de la Côte d’Opale (Région Nord-Pas-de-Calais) « une étude de faisabilité pour le réensablement de la partie centrale de la baie de Wissant ». Le rapport préconisait le rechargement de la baie avec 680 000 m3 sur un linéaire de 2500 m avec une berme de 30 m à la cote + 4,70m (IGN 69). Le coût était évalué à 6,2 millions € HT. Dans le même rapport, la reconstruction du perré était évaluée à 6,1 millions € HT. La reconstruction eut finalement lieu en 2015, sans être accompagnée par un rechargement en sable. Le nouveau perré était fait pour résister un siècle …
La déception fut immense quand la Région fit savoir fin 2018 que le surplus de 800 000 m3 de sable que devait fournir le chantier de Calais 2015 avait « disparu ». Les raisons de cette disparition n’ont jamais été clairement expliquées. Toujours est-il qu’en 2020 une nouvelle étude d’EGIS sur la faisabilité d’un réensablement massif fut commandée par la communauté de communes de La Terre des 2 Caps. L’étude soulignait les risques de déchaussement et de déstabilisation du perré, risques que nous avions prévus dans notre rapport critique de juin 2014 et dont nous avons fait constater les premiers signes concrets en octobre 2018, lors d’une journée de travail organisée par EUCC-France. EGIS estimait cette fois qu’un apport de 1.700 000 m3 de sable était nécessaire sur un linéaire d’environ 3 000 m (à comparer aux 300 000 m3 de 2006 et aux 680 000 m3 de 2014). Le sable était prélevé « dans les concessions autorisées du Nord de l’Europe », c’est-à-dire en Belgique ou aux Pays-Bas et non plus dans les eaux proches de Wissant. Rappelons ici que les réserves de sable des eaux françaises limitrophes de la côte d’Opale ont été évaluées à 10 milliards de m3 par ARTELIA, en 2016. Un apport d’entretien d’environ 350 000 à 500 000 m3 tous les 5 ans était considéré comme nécessaire par EGIS, après le rechargement massif initial, pour maintenir un bon état de la plage. De plus, le rechargement devait être complété par divers « ouvrages de maintien », jugés « expérimentaux », dont la principale conséquence était d’occuper la plage en entravant nombre d’activités balnéaires et sportives qui faisaient la réputation de Wissant. Enfin, le plus surprenant est le coût de l’opération réévalué entre 25 et 35 millions € HT, un chiffre sans commune mesure avec les précédentes estimations et qui paraît extravagant aux bons connaisseurs du dossier.
Voilà où nous en sommes en avril 2021. Wissant est en sursis, la plage de sable sec a disparu, son accès est devenu problématique et des maisons sont menacées.
Des questions fondamentales que nous avons soulevées à la commission Transition écologique et climatique du Parlement de la mer réunie le 13 avril 2021 n’ont pas trouvé de réponses :
- pourquoi le rechargement massif prévu en 2014 avec le sable de Calais et évalué à 6,2 millions € HT n’a-t-il pas été fait ?
- Pourquoi n’a-t-on pas tenu compte de l’analyse critique du CSRPN dans son rapport de juin 2014, qui soulignait les insuffisances techniques du projet de perré ?
- Pourquoi refuse-t-on d’utiliser le sable disponible dans les eaux françaises pour recharger nos plages ?
- Comment un même bureau d’études peut-il multiplier par 5 le coût d’une opération de rechargement ?
L’évolution catastrophique de la plage de Wissant n’est pas une surprise. On ne peut pas dire qu’« on ne savait pas »… Elle est la suite logique d’une série d’erreurs humaines et de mauvaises décisions prises contre l’avis des experts scientifiques. Les conséquences financières et économiques sont immenses pour Wissant qui, sans sa plage mythique, perd l’essentiel de son attractivité.
Comme toujours, le contribuable sera mis à contribution.
Quoiqu’on fasse, seul un rééquilibrage du budget sédimentaire de la baie peut apporter une solution durable.
Tout le reste n’est que chimère ! Cela a été dit et répété, mais cela reste malheureusement ignoré des décideurs.
Espérons que les suites de l’appel à projet CEREMA/ANEL, pour lequel le dossier de Wissant a été retenu, permettra d’éclaircir l’avenir de ce site en perdition mais qu’on peut encore sauver.
Wissant 1975 : la plus belle plage de la Côte d’Opale
Wissant 2020 : une muraille de blocs, une plage humide et peu accessible