Histoire maritime : le 11 octobre 1973, la drague « Cap-de-la-Hague » chavire devant le Blanc-Nez
La Voix du Nord
Bernard BARRON (CLP)
Le jeudi 10 octobre 1973, une réception officielle rassemblait les élus et notables du monde maritime à bord de la drague aspiratrice « Cap-de-la-Hague », propriété de l’Union maritime de dragage, dont c’était la première escale au port de Calais et qui venait d’effectuer son premier déchargement de quelque 2 500 tonnes de sable et de gravier en provenance de la baie de Wissant.
Personne ne pouvait imaginer alors que, quelques heures plus tard, cet ancien cargo norvégien transformé en énorme usine flottante ultra-moderne d’aspiration allait chavirer, entraînant dans la mort de douze de ses quinze membres d’équipage.
12 morts, trois rescapés dont un miraculé
Une véritable course contre la montre devait s’engager pour pouvoir secourir l’un des rescapés, Lionel Girard, 24 ans, ouvrier-mécanicien. Celui-ci, véritable miraculé, fut sorti de l’épave par les plongeurs après être resté trois jours prisonnier de la coque retournée de la drague.
Au cours de la nuit du 10 au 11 octobre, le Cap-de-la-Hague appareillait pour se rendre une seconde fois en baie de Wissant afin d’y draguer des matériaux destinés aux bétonnières en activité à Dunkerque où les travaux du futur port à l’Ouest étaient en cours de réalisation.
Le jeudi 10 octobre, vers 7 h 30, dans une mer relativement formée (des creux de 2 mètres étaient observés devant le Blanc-Nez), le Cap-de-la-Hague, chargé, remettait le cap vers Calais.
Brusquement, sans raison particulière, la drague prit de la gîte. Son commandant, Coursin, tenta immédiatement de ballaster pour équilibrer son bateau. Rien n’y fit, le mouvement de bascule se poursuivit. La drague se coucha sur le flanc, avant de se retourner, la quille en l’air emprisonnant dans ses entrailles ses malheureux marins. Sur la passerelle du Free Enterprise III, un car-ferry en approche de Calais, officiers et hommes d’équipage qui se trouvaient à la passerelle, assistèrent, médusés, au drame qui venait de se jouer sous leurs yeux.
L’alerte était donnée et une baleinière fut mise à l’eau sur le champ. Les marins anglais récupérèrent quelques secondes plus tard deux rescapés, les ouvriers mécaniciens Bernard Vandermeersch et Bernard Vincent mais aussi hélas, les premiers corps : ceux du maître-d’hôtel Pierre Letiec et de l’officier-mécanicien Alexandre Caubrière.
Les canots de sauvetage de Calais et de Boulogne, le remorqueur de haute-mer Hermès, laGarance, vedette des Affaires maritimes et la vedette des gendarmes de Dunkerque, rejoints par la suite du dragueur de mines Myosotis de la Marine nationale, les pilotines, les remorqueurs Courageux, Hardi, Trapu et Triomphant, les ferries Free Enterprise VII de la Townsend-Thoresen et Horsa des British Railways arrivaient à leur tour sur les lieux du drame.
Déjà, les plongeurs des sapeurs-pompiers de Calais et du remorqueur allemand Hermèss’étaient hissés sur la coque retournée sans pouvoir intervenir et porter secours aux éventuels marins qui pouvaient être restés prisonniers dans la drague. Les heures qui suivirent furent une succession d’espoirs et d’angoisses. La drague risquant de sombrer à tout moment, il fut décidé de tenter de la remorquer et de l’échouer sur la plage de Sangatte.
Sur l’épave, les plongeurs de la Marine nationale, arrivés de Cherbourg, avaient déjà pris le relais des premiers sauveteurs. Ce sont eux qui, aux premières heures de l’aube du vendredi 12 octobre, perçurent des coups portés de l’intérieur contre la coque de la drague retournée.
Pas de doute, un ou plusieurs marins vivants se trouvaient sous l’immonde carapace d’acier et tentaient de communiquer. Une véritable course contre la montre s’engagea. De l’air fut injecté dans l’épave tragique qui menaçait de sombrer, un puits d’accès fut créé sous l’eau dans les entrailles de la drague à force d’explosifs. Le lendemain dans la soirée, quai de la Colonne à Calais, où avait été dressé le PC des secours, la nouvelle se confirmait : un contact avait été établi avec un rescapé !
Sauvé par son briquet
Celui-ci, Lionel Girard, ouvrier mécanicien, était accroché depuis plus de deux jours, dans le noir, de l’eau jusqu’à la taille, à une échelle métallique de la salle de pompage et tapait sur la coque avec un briquet de poche pour signaler sa présence. Une lampe étanche, des messages et un peu d’alimentation et de la boisson chaude purent lui être passés. Et puis, le dimanche 14 octobre peu avant 5 heures du matin, le miracle se produisait. Lionel Girard, après avoir passé trois jours et trois nuits dans sa prison d’acier, était ramené à l’air libre, « en forme relativement satisfaisante », dirent les médecins.
Le drame du Cap-de-la-Hague, toujours aujourd’hui dans la mémoire des marins calaisiens et des habitants du Courgain-Maritime, avaient fait douze victimes, noyées ou disparues : Alain Coursin, capitaine, Alexandre Mainsard, chef-mécanicien, Alexandre Caubrière, second-mécanicien, André Lefranc, lieutenant, André Bocquelet, officier mécanicien, Pierre Letiec, maître d’hôtel, Jules Vérove chef-dragueur, Raymond Dujardin, dragueur, Henri Bechet, matelot, Jean-Marie Bouland, cuisinier, Alex Dolmy, ouvrier mécanicien, Daniel Yon, ouvrier-mécanicien.