Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Le présent article a été coécrit avec Philippe Deboudt (Univ. Lille, Univ. Littoral Côte d’Opale, ULR 4477 – TVES – Territoires, Villes, Environnement & Société), Florian Lebreton, (Univ. Littoral Côte d’Opale, Univ. Lille, ULR 4477 – TVES – Territoires, Villes, Environnement & Société), Arnaud Héquette, François Schmitt, Denis Marin, Rachel Révillon et Lucie Le Goff (Univ. Littoral Côte d’Opale, Univ. Lille, CNRS, Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences, UMR CNRS 8187).
Les côtes sont des territoires à enjeux forts : on trouve par exemple 60 % de la population mondiale sur une bande de 150 km de large le long des rivages d’après l’Insee. En France métropolitaine, s’il ne représente que 4 % de la surface du territoire national, le littoral accueille 10 % des habitants, d’après l’Observatoire National de la Mer et du Littoral. Il concentre également des activités économiques essentielles : ports, zones industrielles, pôles touristiques, etc. Les habitants et les infrastructures peuvent être menacés par endroits par l’érosion côtière. Dans un rapport technique de 2018, le Centre d’Études et d’Expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement indique qu’en France métropolitaine 37 % des côtes sableuses sont en érosion, soit un linéaire de 700 km environ et qu’une surface de territoire d’à peu près 30 km2 a déjà été perdue depuis 50 ans.
Dans le contexte actuel d’accélération de la montée du niveau de la mer et d’incertitude quant à l’évolution du régime futur des tempêtes, l’inquiétude des populations exposées aux aléas littoraux est légitime. Elles seront de plus en plus vulnérables à l’avenir. La gestion des risques littoraux en France a été jusqu’à présent un sujet dont les citoyens avaient été tenus à l’écart, sans qu’ils soient associés directement à la prise de décision. Pourtant, l’acculturation et la connaissance de la perception des risques côtiers par les populations locales sont un préalable indispensable à la co-construction et à l’acceptabilité des stratégies d’aménagement du territoire à mettre en place dans les années à venir.
Dans le cadre d’un projet intitulé « Quel littoral dans cinquante ans ? Co-construction de stratégies d’adaptation au changement climatique en Côte d’Opale » (COSACO, financé par la Fondation de France), une équipe pluridisciplinaire de chercheurs (géographes, géomorphologues, sociologue et océanographe) a travaillé pendant trois ans (2016-2019) avec les habitants de deux communes littorales du Pas-de-Calais en région Hauts de France, Wissant et Oye-Plage.
Dans ces deux communes, des lotissements ont été construits dans les années 1970 directement en arrière d’un cordon dunaire, respectivement le lotissement de la dune d’Aval et celui des Ecardines. Ces deux sites sont affectés par l’érosion côtière depuis plusieurs décennies : recul moyen de 147 m entre 1949 et 2015 dans le centre de la baie de Wissant ; recul de 50 m au droit des Ecardines pendant la même période. Ces zones sont donc menacées à court ou moyen terme.
Figure 1 : localisation et présentation des sites étudiés
Ces projets s’inscrivent dans une démarche participative et collaborative mise en place par l’équipe de chercheurs dont l’objectif était d’impliquer les habitants dans le devenir de leur littoral.
Afin d’entamer une réflexion sur les stratégies d’aménagement du littoral souhaitées par les habitants, dans un premier temps a eu lieu une phase pédagogique d’acculturation aux risques côtiers. Elle s’est concrétisée par des réunions publiques pendant lesquelles les universitaires ont apporté aux participants de l’information scientifique sur les évolutions passées et futures de leurs rivages. Puis des débats et des ateliers ont permis aux habitants de faire émerger leur expérience du terrain et leur perception face aux risques côtiers. Certains habitants de Oye-Plage ont aussi souhaité collaborer à l’étude de l’évolution du trait de côte grâce à des outils simples d’utilisation : suivi photographique, application sur smartphone et mesures de profils topographiques de plage. Ce suivi du trait de côte avait pour but de leur permettre d’objectiver et de mettre à jour leur connaissance du terrain.
Pour compléter l’étude, une enquête a été menée auprès de 285 foyers (123 à Oye-Plage, 162 à Wissant) entre juin et juillet 2018, période la plus favorable pour interroger les résidents à l’année et les propriétaires de résidences secondaires. Les groupes de questions portaient sur 1) leur logement, 2) le rapport personnel au territoire et à ses activités, 3) les risques côtiers, 4) la connaissance et le sentiment d’exposition au risque, 5) les risques passés et à venir, 6) les connaissances sur les tempêtes et le changement climatique, 7) les connaissances sur les techniques et les stratégies d’aménagement souhaitées.
Les personnes interrogées pouvaient choisir parmi quatre stratégies de gestion du littoral : fixer le trait de côte (par exemple avec des digues) ; s’adapter en fonction des enjeux locaux (par exemple : laisser les zones naturelles reculer, utiliser des solutions dites douces de type rechargement de plage au niveau des zones peuplées et temporiser) ; relocaliser les biens et les activités vers l’intérieur des terres ; ne rien faire (abandonner le territoire à la mer).
À la question « Pensez-vous que votre lieu de résidence soit concerné par le risque d’érosion/submersion ? », les résultats diffèrent nettement dans les deux communes. À Oye-Plage, 35 % des habitants pensent que leur maison n’est pas menacée et 64 % qu’elle l’est.
À Wissant, 59 % pensent qu’elle n’est pas à risque et 41 % qu’elle l’est. Le croisement du type de réponse avec la localisation du logement montre que, logiquement, les personnes se pensant exposées sont celles qui vivent à proximité du rivage. À Wissant, le sentiment d’exposition varie nettement dans l’espace : les habitants vivant sur les hauteurs se sentent moins concernés que ceux résidant près de la plage et derrière la dune d’Aval. À Oye-Plage, où tout le territoire est très bas (situé sur un polder ?), le constat est moins tranché : les habitants se sentent donc plus souvent (64 %) et partout menacés.
Figure 2 : sentiment d’exposition au risque
Figure 3 : stratégies d’aménagement souhaitées
Pour ce qui est des stratégies d’aménagement souhaitées, à Wissant 53 % des sondés choisissent les mesures d’adaptation et 25 % envisagent de fixer le trait de côte. À Oye-Plage, c’est cette dernière solution qui remporte la majorité des suffrages (43 %) juste devant l’adaptation (41 %). Sans doute cela peut-il s’expliquer par le fait qu’une partie du littoral wissantais soit déjà équipé d’une digue, derrière laquelle les habitants se sentent en sécurité. Au Platier d’Oye, le littoral est constitué d’un cordon dunaire en érosion, le sentiment de sécurité est moindre, l’expression d’un besoin de protection est donc plus fréquente. Rares sont ceux qui envisagent la relocalisation des biens et des activités (17 et 11 %) et encore moins l’abandon du territoire (4 et 5 %). On trouve le même type de réponses rapporté dans la littérature scientifique ailleurs dans le monde, par exemple dans la région de Boston aux USA.
À la différence du sentiment d’exposition aux risques, les réponses ne semblent pas ici liées à la localisation des résidences. Cependant à Wissant, c’est derrière la dune d’Aval, à l’ouest du village, secteur fortement exposé à l’érosion, que l’on trouve le plus de réponses pour la fixation du trait de côte et l’adaptation (triangles rouge et orange).
Les éléments de l’enquête rapportés ici montrent donc que les résidents de Oye-Plage et Wissant sont conscients des risques côtiers dans leurs communes. Ils pourraient donc être mieux associés à leur gestion. Paradoxalement, même dans un contexte de dérèglement climatique, de montée du niveau de la mer et d’accentuation des risques, ils préfèrent majoritairement continuer à y habiter comme aujourd’hui. Ils sont peu nombreux à avoir intégré la nécessité d’envisager d’autres stratégies d’aménagement du territoire. Dans ce domaine, des efforts de pédagogie de la part des pouvoirs publics et des scientifiques sont encore à réaliser.
Toute l’équipe du projet tient à remercier sincèrement la Fondation de France qui a financé le projet COSACO. L’équipe remercie également les maires des deux communes, l’association « Les Amis de Wissant », les habitants de Oye-Plage et de Wissant qui ont participé aux réunions publiques, aux ateliers et au suivi du trait de côte.
Pour aller plus loin : Ruz, M.-H. ; Rufin-Soler, C. ; Héquette, A. ; Révillon, R. ; Hellequin, A.-P. ; Deboudt, P. ; Herbert, V. ; Cohen, O. ; Lebreton, F. ; Le Goff, L. ; Schmitt, F.G., and Marin, D., 2020. « Climate change and risk perceptions in two French coastal communities », _in : Malvárez, G. and Navas, F. (eds.), Global Coastal Issues of 2020. Journal of Coastal Research, Special Issue No. 95, pp. 875–879. Coconut Creek (Florida), ISSN 0749-0208._