« Nous avons retenu les plages de sable et de galets, qui sont meubles, et pas les falaises ni les vasières ». Pierre Stéphan, jeune chercheur au CNRS, a rédigé le résultat du travail d’une douzaine de personnes, ingénieurs, chercheurs, enseignants à l’UBO (Université de Bretagne occidentale). L’étude doit bientôt être publiée par le Journal of Coastal Research. Elle fait le point sur le trait de côte dans les quatre départements de la Bretagne administrative depuis la première campagne de photos aériennes complète de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière), au tout début des années 50, jusqu’au début des années 2010. Soit environ 60 ans d’écart.
« Sur un peu plus de 2 700 km de côtes bretonnes, ces plages représentent 335 km de linéaire côtier. Nous n’avons pas tenu compte non plus des plages artificialisées : elles sont à peu près 200, sur un total de 134 km », ajoute Pierre Stéphan. C’est l’effet de la nature qui est mesuré.
38 % des plages ont stagné, recul au nord, avancé au sud
Il en ressort que, sur 35 % de ces 335 km, le trait de côte a reculé (d’au moins 2,5 mètres). Sur 38 %, il a stagné, notamment les petites plages entourées de rochers. Sur 27 %, il a avancé. L’érosion est clairement plus fréquente sur la côte nord (Côtes-d’Armor notamment) tandis que sur la côte sud (Morbihan en particulier), on voit surtout des progressions.
Les galets reculent davantage que le sable parce qu’ils se trouvent piégés par endroits et viennent à manquer à côté, mais aussi parce que l’homme en a beaucoup utilisé : les Allemands, durant la Seconde Guerre mondiale, pour le mur de l’Atlantique, puis des entrepreneurs locaux, les années qui ont suivi. « Certains aménagements côtiers ont aussi perturbé les déplacements le long de la côte », ajoute notre spécialiste. Les flèches littorales ont le plus reculé : la mer reprend l’espace occupé par les sédiments. Là où la côte a progressé, c’est souvent dans les embouchures d’estuaires, ce qui tend à montrer que les cours d’eau y charrient encore des sédiments.
De l’effet des tempêtes…
Reste qu’un trait de côte peut avancer, reculer, revenir… C’est pourquoi, plutôt que de se contenter de deux photographies espacées de 60 ans, l’équipe a étudié de plus près cinq endroits, répartis surtout dans le Finistère et les plus naturels possible, en auscultant toutes les missions qui se sont tenues sur cette période, soit une tous les cinq ans à peine. Six phases de recul communes ont été constatées : elles correspondent aux tempêtes, attestées par les données montrant une conjonction de fortes vagues et de forts coefficients de marée.
Par ailleurs, un travail a été effectué en l’espace d’une quinzaine d’années, sur quelques plages, à l’aide d’un GPS différentiel et désormais d’un drone. « L’été, la côte avance un peu, quand la mer est calme mais elle recule en hiver. Surtout lors des tempêtes. Début 2014, la plage du Vougot, à Guissény (Nord-Finistère), a reculé de 14 mètres en deux mois ! Et le sillon de Talbert (Pleubian, Côtes-d’Armor) de 30 mètres, en quelques tempêtes », détaille Pierre Stéphan.
… et la résilience de la nature
Mais il relève aussi que la nature « a un temps de récupération assez exceptionnel. À Pors Milin (Locmaria-Plouzané, en rade de Brest), toujours en 2014, en quelques jours, la plage avait retrouvé 80 % de ce qu’elle avait perdu ! Au sillon de Talbert, il a fallu trois ou quatre ans pour revoir le niveau initial. On n’est donc pas obligé de décider dans l’urgence de prendre des mesures. Là où il y a eu enrochement, on a voulu fixer la plage mais le sable en dessous est parti et finalement, la plage s’est érodée ». Sans compter qu’un recul ne constitue pas nécessairement un problème.
C’est, au fond, la morale de la fable de La Fontaine, « Le chêne et le roseau » : mieux vaut plier un moment et ne pas rompre. La nature sait souvent s’y prendre.