La nouvelle ordonnance qui crée des outils de maîtrise foncière et de relocalisation face au recul du trait de côte ne suscite pas l'adhésion complète des associations d'élus. Si ces outils étaient attendus, des zones d'ombres persistent.
« Traiter la question de l'érosion côtière du littoral est un sujet demandé depuis des décennies par les élus concernés, le besoin était donc réel. C'est bien que le législateur s'en soit saisi, estime l'Association nationale des élus du littoral (Anel) en réaction à la publication de l'ordonnance ad hoc, le 7 avril dernier. En août dernier, la loi Climat et résilience a en effet posé les premières briques d'un dispositif imaginé pour tenter d'anticiper le recul du trait de côte. Elle a notamment imposé l'information des acquéreurs d'un bien de l'existence de ce risque, l'identification des communes menacées par l'érosion, institué un droit de préemption pour ces dernières, demandé la réalisation d'une cartographie des zones impactées ou encore a interdit à un horizon de trente ans les constructions nouvelles dans les zones concernées.
Pour compléter cette première architecture, la loi a également habilité le gouvernement à prendre, par ordonnance dans un délai de neuf mois, différentes mesures en vue de permettre la relocalisation des biens exposés. Le texte, publié début avril, propose notamment une méthode d'évaluation des biens exposés, instaure un nouveau bail de longue durée pour l'adaptation à l'érosion du littoral et, dans le cadre de relocalisation, ouvre des dérogations – limitées - à la loi Littoral.
Une concertation pas assez poussée
Le premier regret sur ce texte – qui semble faire consensus parmi les élus – est celui d'une concertation insuffisamment poussée qui serait à l'origine de points d'insatisfaction. « Les délais d'élaboration du texte n'ont pas été de nature à permettre un travail de fond suffisant, pointe ainsi le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) dans sa délibération du 25 mars, qui a débouché sur un avis défavorable sur le projet d'ordonnance. À noter, en sus, que ce dernier n'a pas été soumis pour avis au Conseil national de la mer et des littoraux (CNML), qui est pourtant l'instance de dialogue et de réflexion stratégique des politiques publiques en cause. »
Pour l'Anel, le sujet aurait mérité un débat national. « Selon les études du Cerema, entre 5 000 et 50 000 logements seraient concernés d'ici à 2100 et, globalement, la question de l'aménagement futur des espaces côtiers du littoral concerne de nombreuses collectivités du littoral, rappelle l'Anel. Le sujet a été abordé de manière accélérée, et sans publicité : le site de la consultation publique n'affiche que 21 commentaires ! En outre, l'ordonnance s'écarte de l'habilitation donnée par le Parlement, témoignant d'une concertation inaboutie. »
Comme lors des débats de la loi Climat et résilience sur ce sujet, les élus déplorent le transfert de responsabilité et de charges vers les collectivités. « Le maire se retrouve au milieu de l'économie générale du système et des potentielles responsabilités au pénal, si jamais les acquisitions des biens menacés ou les relocalisations ne se passent pas bien, notamment avec les propriétaires concernés, souligne l'Association des maires de France (AMF). Et ces communes vont également devoir appliquer l'objectif de zéro artificialisation nette des sols, c'est compliqué. »
Un éclaircissement sur les possibilités de financement attendu
Le gros point noir pour les élus reste l'absence de vision claire sur les financements possibles des différentes opérations d'adaptation au recul du trait de côte. « Cela avait été un des engagements au moment du vote de la loi Climat et résilience – cette question aurait dû être traitée dans le cadre du projet de loi de finances –, mais nous n'avons rien vu apparaître et les amendements proposés ont été écartés », regrette l'Anel. « Récemment, une proposition de loi pour la création d'un Fonds d'érosion côtière a été déposé à l'initiative de la députée Sophie Panonacle [LREM – Gironde] et nous espérons qu'elle sera redéposée dans la prochaine législature. »
Dans le cadre du bail de longue durée, imaginé pour continuer à occuper des biens voués à la destruction, l'ordonnance prévoit que le preneur s'acquitte d'un prix à la signature du bail et d'une redevance pendant sa durée. Ceci afin de financer l'acquisition et la renaturation du site que devra réaliser le bailleur à terme. « Nous attendons que la démonstration de l'équilibre économique nous soit faite : selon notre analyse, la redevance ne servira absolument pas à couvrir les dépenses qui vont être générées, réagit l'Anel. Si nous prenons par exemple une maison d'une valeur initiale d'un million d'euros… À quelle échéance la préempter ? Quand il restera dix ou vingt ans d'existence du bien ? Et si la commune l'achète, le loyer sera encadré et ne pourra jamais compenser le coût d'acquisition - sachant que la durée de vie du logement est réduite et qu'une mesure d'urgence peut être prise pour exproprier les locataires. S'ajoute à cela les coûts de gestion, de démolition, de dépollution et de renaturation, qui doivent également être financés par la collectivité. La concertation aurait pu permettre de faire des simulations de modèles économiques réalistes… »
Une autre interrogation des élus concerne la méthode d'évaluation des biens exposés. « Nous ne savons pas si, dans l'évaluation, les ouvrages de protection et la stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte sont pris en compte. Cela joue potentiellement sur le prix d'acquisition pour la collectivité, pointe l'AMF. Comme cela n'est pas précis, nous craignons que ce soit renvoyé à l'appréciation du juge de l'expropriation ou du juge administratif. »
Les élus pointent également le coût financier de la recomposition spatiale, qui dépasse la question des biens privés. « Par exemple, si une station d'épuration se trouve dans la zone concernée, la collectivité va devoir financer sa reconstruction ailleurs, ainsi que le déplacement de tous les réseaux », illustre l'Anel.
10 millions d'euros pour trois projets partenariaux d'aménagement
Pour le ministère de la Transition écologique, un certain nombre de coups de pouce ont déjà été apportés. « Le gouvernement s'est engagé sur un certain nombre de dispositifs de soutien financier parmi lesquels le financement de la cartographie à hauteur de 80 %. Par ailleurs, dans le cadre des trois premiers PPA [projet partenarial d'aménagement], l'État a d'ores et déjà engagé 10 millions d'euros, qui seront complétés par une enveloppe nationale supplémentaire de 5 millions d'euros qui pourra évoluer à la hausse à court ou moyen terme, argumente-t-il dans le cadre de la délibération du CNEN. En sus, le ministère tient à rappeler le rôle des établissements publics fonciers (EPF) locaux et d'État dont les compétences ont été renforcées par la loi du 22 août 2021 [dit Climat et résilience], qui apportent un appui aux collectivités dans la définition de leurs projets et favorisent l'optimisation du foncier sur les territoires, via la taxe spéciale sur l'équipement [TSE] ». Mais « la suppression de la taxe d'habitation vient fortement réduire l'assiette de la TSE », répond l'Anel.
Les trois projets partenariaux d'aménagement d'adaptation mentionnés par le ministère visent le réaménagement du littoral touché par le recul du trait de côte de Saint-Jean-de-Luz, de Lacanau et de trois communes de la côte ouest du Cotentin. Ces partenariats entre l'État et les acteurs locaux s'inscrivent dans le cadre d'un appel à projets national lancé via le plan de relance. « Aujourd'hui, environ 120 communes concernées par l'érosion sont sur le projet de liste, oppose toutefois l'Anel. Nous n'avons pas de visibilité sur la manière dont le sujet va pouvoir se traiter à plus grande échelle. Pour l'instant, le ministère agit en fonction des capacités de financement dont il dispose année après année. C'est déjà bien, mais cela ne donne pas un cadre d'action global aux collectivités. »
Des dérogations à la loi Littoral conditionnées à un PPA
L'inscription dans un projet partenarial d'aménagement est par ailleurs une des conditions fixées par l'ordonnance pour accéder aux dérogations à la loi Littoral. Les communes pourront alors ne pas respecter l'obligation de construire en continuité de l'urbanisation existante lorsque ces dispositions empêchent la mise en œuvre d'une opération de relocalisation de biens ou d'activités menacés dans des espaces plus éloignés du rivage. Cette dérogation est toutefois soumise à l'approbation du représentant de l'État dans le département et à plusieurs conditions cumulatives. Par exemple, elle n'est applicable qu'au-delà d'une bande d'un kilomètre à compter du rivage. Une marge de liberté trop restreinte, selon les associations d'élus. « La difficulté est que comme c'est un contrat avec l'État, ce dernier se retrouve en position de permettre ou pas aux collectivités de se saisir de l'opportunité des dérogations à la loi Littoral », pointe Carole Ropars, responsable du pôle environnement et aménagement chez Intercommunalités de France (AdCF).
Une absence de vision intégrée
Mais ce que déplore surtout les associations d'élus, c'est l'absence de vision intégrée sur la question. « La segmentation entre, d'un côté, les submersions et, de l'autre, le recul du trait de côte lié à l'érosion, nous interroge, relève Oriane Cebile, conseillère environnement chargée des sujets d'aménagement et d'urbanisme à l'Assemblée des communautés de France (AdCF). Comment arriver à bien intégrer l'adaptation face à différents risques reste un chantier pour un long moment encore. »
L'Anel précise à ce sujet qu'une tribune de scientifiques pointait déjà ces difficultés dans le cadre de l'examen de la loi. « Depuis une vingtaine d'années, les cadres institutionnels de gestion des risques côtiers en France se sont construits en ayant de plus en plus tendance à dissocier les phénomènes d'érosion côtière et de submersion marine, guidés par des logiques de cloisonnement administratif, mais surtout de volonté de préservation des budgets de l'État, plus que par un véritable raisonnement scientifique. »