Cet article, qui date maintenant de presque 3 ans, met bien en évidence l'intérêt des défenses souples,
et aussi la cohérence de ces dispositifs avec les recommandations de l'ONF et du Conservatoire du Littoral.
(ne pas perdre de vue le projet "ADAPTO")
Journal "La Croix" du 21 septembre 2018.
Sur la Côte d’Opale, l’ONF et le Conservatoire du littoral fondent une alliance, afin de prévenir, les effets dévastateurs du changement climatique.
Le risque est majeur. Mais il n’est encore connu que d’un petit nombre d’experts. Nom de code : « Trait de côte ». Définition un peu technique : il s’agit de « l’intersection de la terre et de la mer dans le cas d’une marée haute astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales ». Pour le dire plus simplement, c’est le niveau le plus haut de la mer sur un rivage.
Or, sur une part importante du littoral français, rien ne va plus sur le front du trait de côte. Ici, en Côte d’Opale, sur les plages et les dunes de Berck ou de Merlimont, son recul est de l’ordre des 40 m, surtout depuis la fin des années 1970. Plus largement, en mars 2015, le climatologue Jean Jouzel remettait le cinquième volume de son rapport Le Climat en France au XXIe siècle au ministère du développement durable. Cette expertise collective (1) sonnait clairement l’alarme : sous l’effet du changement climatique, à l’échelle mondiale, le niveau de la mer a déjà augmenté en moyenne de 18,7 cm entre 1901 et 2011, mais le rythme s’est accéléré sur les vingt dernières années : + 6,7 cm, entre 1993 et 2014. En France métropolitaine, la hausse constatée est proche de cette moyenne.
En France, « 41 % des plages sont victimes de l’érosion côtière »
Comment lutter contre l’érosion côtière ?
À Merlimont, au cœur de la Côte d’Opale, la cause est entendue. En juillet 2017, Mary Bonvoisin, maire de cette commune balnéaire et par ailleurs partenaire constructif de l’ONF (Office national des forêts) et du Conservatoire du littoral, faisait elle-même le constat : « C’est un fait, l’état actuel du front de mer est une situation anxiogène pour tous les Merlimontois. Le diagnostic technique confirme la fragilisation de la digue. Les coups de vent violents associés aux grandes marées n’arrangent rien. Les changements climatiques nous imposent une adaptation permanente. »
« Il n’y a plus de discussion sur la réalité ou non du phénomène. Nous sommes dans l’action »
Pour toute la région Manche et mer du Nord du Conservatoire du littoral, où elle est la déléguée de rivages, Sandrine Deroo, basée à Wimereux (Pas-de-Calais), confirme que « le recul du trait de côte est devenu central dans tous les dossiers » qu’elle traite. « L’anticipation du changement climatique et de ses effets sur la montée de la mer, les enjeux économiques et sociaux de ce phénomène : tout ça fait notre actualité de gestionnaire d’une part importante du littoral (lire repères). Nous baignons, si j’ose dire, dans ce sujet au quotidien. » La jeune ingénieure agronome ajoute que, sur la Côte d’Opale, de Dunkerque à Berk, « tous les acteurs publics partagent cette préoccupation ». « Il n’y a plus de discussion sur la réalité ou non du phénomène, ni même sur son importance. Nous sommes tous dans l’action, la recherche de solutions d’adaptation », précise-t-elle.
Sur le littoral du Pas-de-Calais, « plusieurs points de fragilité s’égrènent sur la côte où les activités économiques, agricoles et touristiques, entre autres, font que l’humain est omniprésent et souvent inquiet », explique Sandrine Deroo, faisant allusion aux populations les plus exposées au risque de submersion par la mer, comme en baies de Wissant et d’Authie, où le Conservatoire du littoral est propriétaire de quelque 430 hectares au total.
Des frais lourds pour les communes littorales
À Merlimont, précise-t-elle, la station balnéaire est très exposée à l’érosion et « la digue a encore été très secouée par les tempêtes de janvier 2018 ». Il en est de même à Wimereux (Pas-de-Calais), ajoute Frédéric Vincq, responsable ONF de l’unité territoriale « Littoral Flandre Artois », où, comme à Wissant et en baie d’Authie, « le sujet est très sérieux » et oblige déjà des communes littorales à s’endetter lourdement pour réparer, renforcer, voire doubler leurs digues, ce qui représente à terme des « travaux gigantesques ».
Le jeudi 6 septembre, Sandrine Deroo et Frédéric Vincq étaient présents sur la dune de Merlimont, bien nommée Les Garennes, dont les quelque 800 hectares naturels sont la propriété, à parts égales, du Conservatoire du littoral et du domaine forestier de l’État géré par l’ONF. Des élus de la commune et du département (2), des responsables d’associations naturalistes et de chasse, des cadres et des agents de terrain des deux organismes publics étaient aussi venus assister, dans cette réserve biologique domaniale de la Côte d’Opale, à la signature d’une nouvelle Convention nationale de partenariat entre le Conservatoire et l’ONF.
« Convergence des actions du Conservatoire du littoral et de l’ONF »
Le texte, signé joyeusement, au pied de la dune de Merlimont, par Odile Gauthier, directrice du Conservatoire du littoral, et par Christian Dubreuil, directeur général de l’ONF, prend acte, très précisément, de la solidarité construite depuis quelques années entre les agents des deux administrations, sur les « sites communs » du littoral dont ils sont les protecteurs et les gestionnaires (25 % du littoral français, à l’heure actuelle), grâce à des compétences complémentaires reconnues par les uns et les autres et des objectifs de plus en plus convergents.
Lors de la cérémonie en plein air, Odile Gauthier a vanté « la convergence des actions du Conservatoire du littoral et de l’ONF sur leurs domaines respectifs et souvent contigus », ainsi que la « collaboration quotidienne entre les agents de terrain sur les sites du Conservatoire dont la gestion est assurée par l’ONF ».
Et elle a souligné que l’un de ses objectifs de la Convention est de « fournir des terrains d’expérimentation pour les méthodes de gestion forestière de demain dans le contexte du changement climatique global », comme à Merlimont, précisément. Car il s’agit bien de s’orienter résolument vers « une certaine capacité d’adaptation, comme ici même, sur cet ensemble dunaire et forestier partagé entre le Conservatoire et l’ONF, où la gestion dunaire répond à l’élévation du niveau de la mer ».
Miser sur une « gestion souple du trait de côte »
Concrètement, « plutôt que de tenter de fixer la dune, il s’agit d’accompagner les mouvements naturels du sable, qui s’ajustent au fur et à mesure aux conditions maritimes ». La directrice du Conservatoire du littoral a cependant conscience que « ce sont des conceptions parfois difficiles à présenter aux acteurs locaux, habitués aux pratiques traditionnelles de "défense contre la mer", reposant sur des aménagements fixes ». Mais elle est certaine que la « gestion souple du trait de côte peut présenter une efficacité tout aussi bonne que les digues, voire une meilleure résilience à moyen terme, avec des coûts modérés ».
En réponse aux paroles d’Odile Gauthier, Christian Dubreuil convenait que « les deux établissements, l’ONF et le Conservatoire, participent à la politique de préservation du littoral, bien entendu vis-à-vis de l’urbanisation, mais aussi face aux érosions marines, à l’élévation du niveau de la mer généré par les changements climatiques ». En conséquence, le directeur général de l’ONF signait des deux mains la nouvelle Convention de partenariat et son programme d’« expérimentations sur la libre évolution des cordons dunaires ». Ce faisant, il manifestait son adhésion au programme « Adapto » du Conservatoire, lancé en 2015, qui promeut « une gestion souple du trait de côte face aux effets du changement climatique sur le littoral » et expérimente celle-ci sur une dizaine de sites, dont la baie d’Authie.
Une collaboration au quotidien
Sur le littoral de la Côte d’Opale, Frédéric Vincq ne cache pas, en tant que responsable territorial ONF, sa « profonde satisfaction de travailler en solidarité et en bonne intelligence opérationnelle » avec ses collègues du Conservatoire du littoral et les élus de communes, comme celle de Merlimont, ou du département. Dans toutes les administrations chargées de la protection et de la gestion du littoral, il semble bien que l’heure est à la solidarité entre agents techniques, à la « collaboration quotidienne », pour reprendre les propos d’Odile Gauthier, directrice du Conservatoire du littoral.
Ainsi, Frantz Veillé, technicien forestier ONF posté à Merlimont, relève aussi la force de la coopération des gestionnaires et des pouvoirs publics sur le trait de côte de la réserve biologique domaniale. « Les communes de Merlimont et de Berck, l’Office national des forêts, le Conservatoire du littoral, Eden 62 et le parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale travaillent ensemble », par exemple, à la mise en place d’« une politique forte » de protection des gravelots à collier interrompu, une espèce dont l’effectif reste malheureusement très faible. Mais aussi, bien sûr, à l’adaptation du littoral à la montée très dynamique de la mer.
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Les clés du sujet
Le plus vaste ensemble dunaire d’Europe
OÙ ?
Cet ensemble s’étend sur 320 km le long de la côte atlantique française, comprenant 70 000 hectares de massifs forestiers domaniaux gérés par l’ONF. Les terrains domaniaux gérés par l’ONF représentent 81 000 hectares de littoral en métropole, soit 381 km de côtes, dont 358 km de dunes.
QUI ?
L’Office national des forêts (ONF) rassemble près de 9 500 professionnels de la filière forêt-bois, en métropole et en outre-mer. Acteur de la prévention des risques naturels, l’ONF gère de nombreuses forêts en zone de montagne et sur le littoral. Il assure ainsi une protection aux populations contre les aléas climatiques ou géologiques.
Le Conservatoire du littoral, établissement public créé en 1975, mène une politique foncière de sauvegarde des espaces naturels côtiers, en métropole et en outre-mer. En 2018, le Conservatoire administre quelque 200 000 hectares, sur 700 sites, soit 1 630 km de rivages en métropole et 545 en outre-mer. En 2050, la propriété et la gestion du Conservatoire devraient concerner 300 000 hectares, sur un millier de sites.
POUR QUOI FAIRE ?
Ensemble, ONF et Conservatoire du littoral veillent sur plus de 2 500 km de côtes, soit 20 % du littoral français. À terme, cette proportion devrait atteindre les 33 %.
(1) Le Climat de la France au XXIe siècle, volume 5, Changement climatique et niveau de la mer : de la planète aux côtes françaises, mars 2015, 70 p., téléchargeable sur le site de la Documentation française : www.ladocumentationfrancaise.fr (2) À travers Eden 62, le syndicat mixte gère la gestion et la protection des sites naturels du Pas-de-Calais.