Elles s’appellent Martin, Klaus, Xynthia, Eleanor, Alex ou encore Ciaran ou Domingos pour celles qui ont touché la France en octobre 2023. Ces tempêtes rappellent, douloureusement au vu de leur bilan matériel et parfois humain, la vulnérabilité des littoraux, en Europe comme ailleurs.
Souvent très modifiées par l’humain à travers les constructions et l’aménagement du territoire, les côtes françaises sont exposées de façon croissante aux effets du changement climatique.
Ces derniers se manifestent par une augmentation de la fréquence des submersions, par l’intensification de l’érosion des littoraux ou encore par des phénomènes de salinisation des estuaires et des nappes phréatiques côtières.
Une menace imminente face à laquelle les populations peuvent adopter différents comportements et stratégies, pouvant s’échelonner de l’inaction à la recomposition spatiale des territoires. Des “outils” permettent pourtant une lutte active contre les aléas submersion et érosion. Parmi ceux-ci, les solutions fondées sur la nature, SFN en français ou Nature-based solutions, NBS en anglais.
De quoi parle-t-on ? L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) les a définies en 2016 comme les actions de gestion, de protection et de restauration des écosystèmes qui permettent de répondre aux défis sociétaux tout en produisant des bénéfices pour le bien-être humain et la biodiversité.
De plus en plus d’initiatives en ce sens émergent, en Europe comme en France. Avec, déjà, des retours d’expériences encourageants. C’est par exemple le cas du projet adapto (mené par le Conservatoire du Littoral et le BRGM) qui, pendant cinq ans, a permis d’explorer, sur dix sites pilotes, des solutions de gestion douce du trait de côte. De quoi démontrer l’intérêt écologique – mais également économique – des SFN.
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Des digues pas dénuées d’inconvénients
Historiquement, la protection côtière s’est largement appuyée sur la construction d’ouvrages de génie civil de défense contre la mer. On estime ainsi que 70 % du littoral européen est protégé par des ouvrages de protection comme les enrochements, les digues, les épis, les brise-lames ou encore les portes à flots.
Ces ouvrages ont cependant des inconvénients de taille : le coût de ces techniques dites « dures » est souvent élevé, avec un besoin d’entretien accru. De plus, ces ouvrages ne s’adaptent pas aux évolutions des aléas, voire augmentent le risque de submersion brutale en cas de rupture soudaine.
Ces structures lourdes ont trop souvent été mises en place au détriment du soin des écosystèmes naturels, lorsqu’ils sont encore présents. Or, des écosystèmes sains, résilients, fonctionnels et diversifiés rendent de nombreux services aux sociétés humaines, qu’on appelle des services écosystémiques.
Dunes et récifs coralliens aux effets protecteurs
Les écosystèmes des côtes et des estuaires soutiennent un grand nombre de ces services non seulement en matière « d’approvisionnement » (par exemple, liés à la fourniture de nourriture, comme la pêche) mais aussi « de régulation et de support » en participant à la réduction des impacts de l’érosion et de la submersion.
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Certains écosystèmes contribuent ainsi à l’équilibre du littoral et à l’atténuation des aléas, notamment en diminuant l’énergie des vagues et des courants atteignant la côte.
C’est le cas des récifs coralliens ou d’huîtres, mais aussi des herbiers sous-marins qui freinent les vagues en augmentant leur frottement sur le fond, ou encore des mangroves qui jouent un rôle de dissipation très fort de l’énergie des vagues atteignant la côte.
Les dunes, quant à elles, forment des barrières naturelles contre la submersion marine. Les volumes de sable qu’elles représentent constituent par ailleurs un stock sédimentaire important qui permet aux plages de se reconstruire après un épisode érosif lors d’une tempête. Elles participent ainsi à l’atténuation de l’érosion et du recul du trait de côte.
Enfin, les zones humides côtières et estuariennes sont des espaces d’expansion des submersions marines lors des tempêtes et des inondations lors de crues. Elles amortissent donc leurs effets (hauteur d’eau et étendue).
En complément de ce rôle « mécanique », les milieux littoraux assurent des fonctions écologiques importantes de nombreuses espèces animales et végétales mais aussi pour le cycle de l’eau, le recyclage et l’épuration de nombreux contaminants. Ils jouent par ailleurs un rôle important dans le piégeage et la séquestration du carbone.
Leur productivité biologique (quantité de biomasse produite au cours du temps, notamment par la photosynthèse), qui se situe parmi les plus importantes des écosystèmes de la planète, les rend d’autant plus indispensables dans l’atténuation des effets du changement climatique (la photosynthèse permettant de consommer une partie du CO2 atmosphérique).
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Des solutions fondées sur la nature efficaces et économiquement avantageuses
Les écosystèmes littoraux sont actuellement altérés et menacés par les activités humaines, le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Paradoxalement, ils sont désormais au cœur de solutions de résilience durable pour la protection côtière qui s’inscrivent dans la grande famille des SFN.
Citons par exemple les dunes de Nouvelle-Aquitaine. Le service de régulation de l’érosion côtière assuré par les écosystèmes dunaires est considérable à l’échelle de la région, qui possède la plus grande côte sableuse de la façade maritime de France. Au-delà de ses bénéfices environnementaux, les SFN y sont également intéressantes au plan économique.
Les coûts de maintien de ce service, qui passe par la restauration des écosystèmes dunaires (par exemple replantation d’espèces végétales comme les oyats), des mesures de gestion et de protection (par exemple gestion de la fréquentation et des chemins d’accès pour éviter le piétinement des dunes) sont largement plus faibles que ceux consentis pour la mise en place et l’entretien d’ouvrages de protection lourds, ou le rechargement sans fin des plages.
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L’expérience de la Belgique et des Pays-Bas
Les bénéfices peuvent être aussi très importants pour la société. C’est ce que montrent les retours d’expérience de pays très exposés à l’augmentation du niveau de la mer, comme la Belgique ou encore les Pays-Bas. Pionniers dans la défense ouvragée contre l’érosion et la submersion au siècle dernier, ils ont ouvert la voie sur l’adaptation au changement climatique en milieu littoral grâce aux SFN.
Aux Pays-Bas, le « Zand Motor » (littéralement le « moteur de sable ») est un projet très emblématique qui a consisté à déposer en 2011, en un point du littoral, 20 millions de mètres cubes de sable provenant du large. Depuis, les courants redistribuent ce sable sur les littoraux adjacents en les rendant plus résilients à l’érosion et en favorisant la biodiversité (notamment la fréquentation par les mammifères marins).
La Belgique, quant à elle, a laissé de plus en plus d’espace aux zones humides, pour qu’elles puissent jouer leur rôle d’amortisseur des submersions marines et des inondations, tout en retrouvant leur rôle bénéfique notamment pour la biodiversité. Des plans de dépoldérisations à grande échelle le long des côtes et des estuaires, par exemple, sur l’Escaut, sont ainsi menés depuis plusieurs décennies.
En France, les solutions fondées sur la nature sont encore relativement peu exploitées par les décideurs locaux pour la gestion du trait de côte. Sur les secteurs qui seraient propices à leur mise en place, la réticence à l’utilisation de solutions en apparence moins robustes que le génie civil et la méconnaissance des retours d’expérience de ces solutions peuvent effrayer.
Il est compliqué de changer de paradigme : jusque-là, nous avons construit pour dompter la mer et pouvoir vivre au bord de celle-ci. Comprendre aujourd’hui qu’il y a probablement plus à gagner en s’appuyant sur la nature plutôt que d’aller contre celle-ci requiert des transformations profondes de perception. Toutefois, un changement progressif s’opère dans les esprits depuis une dizaine d’années, où le concept de SFN s’est disséminé.
Les premières leçons des sites pilotes
Le projet adapto a ainsi permis d’explorer, sur des territoires littoraux à dominante naturelle et agricole, des solutions face à l’érosion et à la submersion marine dans le contexte d’accentuation du changement climatique. Il s’agissait notamment de démontrer la faisabilité et l’intérêt économique et écologique des SFN pour la gestion du trait de côte, à travers une approche pluridisciplinaire.
Le projet a porté sur dix sites expérimentaux, neuf en métropole et un en Guyane, qui ont été choisis pour représenter un panel de cinq types de milieux littoraux différents :
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côtes basses et sableuses atlantiques,
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côtes basses atlantiques poldérisées,
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lidos méditerranéens (un lido est un cordon littoral sableux qui ferme une lagune),
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salins méditerranéens
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et enfin mangroves.
Ces expérimentations en sont aujourd’hui à des stades différents de maturité. Citons quelques cas représentatifs :
D’abord, un exemple emblématique de reconnexion – remise en contact de terres avec le milieu marin ou estuarien – « ancienne » est celui de l’Île Nouvelle (sur la Garonne) ou encore du polder de Mortagne-sur-Gironde. Ils ont été reconnectés « accidentellement » à l’influence estuarienne et marine par la tempête Martin en 1999. Celle-ci a créé une brèche dans les digues des deux sites et entraîné une incursion marine. Ces digues n’ont pas été reconstruites, reconnectant ainsi ces anciens polders au flux et reflux des marées.
Depuis, de nombreux suivis faunistiques et floristiques d’espèces terrestres et marines ont été menés pour suivre les évolutions après les reconnexions des écosystèmes dans un continuum terre-mer. Plusieurs habitats fonctionnels pour de nombreuses espèces animales, comme les roselières à Mortagne-sur-Gironde, ou les vasières sur l’Île Nouvelle, sont ainsi scrutés de près. Depuis la mise en place d’une gestion souple du site de l’Île Nouvelle, les champs de maïs ont laissé la place à d’importantes et diverses surfaces de zones humides créant une mosaïque de milieux bénéfiques par exemple, pour les populations d’oiseaux*.
D’un point de vue sédimentologique, les suivis montrent aujourd’hui, par exemple à Mortagne-sur-Gironde, des vitesses de sédimentation spectaculaires. Celles-ci contribuent à l’élévation des terres, les rendant moins exposées à la submersion dans le contexte de la remontée du niveau marin.
Plus récemment, au niveau de la baie de Lancieux (Côtes-d’Armor), le polder de Beaussais a vu sa digue de protection disparaître peu à peu suite à des brèches successives. Le choix d’une reconnexion à la mer a été fait. Laisser rentrer l’eau salée dans ces marais rétrolittoraux (c’est-à-dire, en arrière du trait de côte) de façon maîtrisée permet aux espèces végétales de coloniser et s’installer, selon les assemblages de communautés typiques qui caractérisent les prés salés.
En Méditerranée, un exemple éloquent est celui des Vieux-Salins d’Hyères (Var), où la majeure partie des enrochements ont été supprimés. De quoi redonner une dynamique naturelle au système dune-plage situé à l’interface entre la mer et la zone humide. Concrètement, il s’agit de déplacer une zone d’érosion pour éviter, à moyen terme, des intrusions d’eau de mer vers l’intérieur des salins où de l’eau douce est présente. Les suivis, toujours en cours, montrent déjà une zone d’accrétion de cinq à dix mètres sur la zone anciennement exposée à l’érosion, la rendant moins exposée aux aléas.
Par ailleurs, le suivi des « récifs » formés par les herbiers de posidonie présents au droit de cette plage semble montrer que leur répartition spatiale n’est pas impactée par les travaux de désenrochements. Ils jouent bien leur rôle de brise-lame sur les vagues, et stabilisent aussi les plages grâce au dépôt de leurs feuilles mortes dont les amas forment de véritables remparts, aussi appelés “banquettes”, contre l’érosion.
Des essais à transformer
Le projet adapto a ainsi permis des apprentissages précieux et surtout multidisciplinaires (entre géophysique, écologie, sociologie et économie des territoires) pour tous les acteurs des littoraux : collectivités, chercheurs, gestionnaires, usagers…
Grâce à ces retours d’expérience, des actions de reconnexion sont désormais envisagées à plus large échelle ailleurs en France : par exemple sur la baie d’Authie (Hauts de France) mais aussi dans l’estuaire de l’Orne ou encore dans le delta de la Leyre (Gironde).
Malgré leurs succès, ces nouveaux modes de gestion ne sont pas sans susciter des craintes. Leur principal point noir : la perception du temps nécessaire à la mesure des progrès. Les réticences des populations et des gestionnaires à l’égard des SFN résident dans le sentiment de moindre protection qu’elles offrent par rapport aux ouvrages « en dur » et dans le fait que leurs effets bénéfiques ne sont pas toujours immédiats.
C’est la raison pour laquelle l’ensemble des suivis de terrain menés dans le projet adapto, et qui sont pour la grande majorité toujours en cours, sont essentiels. Tant pour comprendre les dynamiques et fonctionnalités des milieux littoraux, que pour montrer aux acteurs locaux d’autres territoires que cela peut fonctionner.
Ces retours d’expériences solides, communiqués le plus largement et pédagogiquement possibles, sont incontournables pour que le recours aux solutions fondées sur la nature puisse se développer.
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